Initiation à la céramique japonaise
Premiers pas dans l’univers de la poterie au Japon
La céramique japonaise figure parmi les omiyage (souvenirs) les plus séduisants à ramener d’un voyage au Japon. Elle offre en effet une large variétés de couleurs, de matières et de formes, qui font sa renommée dans le monde entier. Vous souhaitez explorer cet univers fascinant ? Découvrez ici quelques clés pour aborder le petit monde de la poterie nippone…
Le travail de la céramique n’est pas un art propre au Japon. On le retrouve dans toutes les civilisations, avec d’importantes variations de matériaux, techniques et esthétiques. Ce qui en fait une forme d’artisanat extrêmement riche et passionnante à explorer.
L’art et la matière
Commençons par le commencement : la céramique, c’est quoi ? Le terme désigne tout objet fabriqué en terre ayant subi une transformation définitive, par le biais de la cuisson. D’une manière générale, on peut distinguer deux grandes catégories de céramiques : les céramiques poreuses et les céramiques vitrifiées.
La céramique, un art du feu universel
Les céramiques poreuses sont les plus anciennes. On retrouve dans cette catégorie les premières poteries en terre cuite façonnées dès l’aube de l’Humanité, ainsi que les faïences émaillées de la Renaissance. Les céramiques vitrifiées, plus modernes, incluent les poteries en grès émaillé et la porcelaine, cuites à deux reprises lors du processus de fabrication. L’émaillage d’une poterie consiste à la recouvrir d’une couche protectrice d’aspect totalement lisse (la glaçure), qui peut être transparente ou colorée grâce à des pigments. On parle également de glaçage.
Nourrie d’influences chinoises et coréennes, la poterie japonaise n’a cessé d’évoluer au cours des siècles, assimilant de nouveaux matériaux et savoir-faire au gré de ses échanges avec le reste de l’Orient. Mais elle a aussi su développer une identité originale, empreinte de philosophie, comme en témoigne l’exemple du kintsugi.
Une spécificité de la céramique japonaise : le kintsugi
En japonais, kintsugi signifie littéralement « jointure d’or ». Il s’agit d’une technique consistant à réparer une céramique cassée à l’aide de laque et de poudre d’or, de manière à en sublimer les fêlures. Mais le kintsugi est aussi une philosophie profonde, qui invite à accepter le temps qui passe, avec ses blessures, ses cassures. Tel l’être humain qui subit une épreuve douloureuse, l’objet brisé peut toujours être réparé. Et même si les cicatrices restent visibles, elles lui apportent un supplément d’âme, le rendant encore plus beau qu’avant.
Véritable art de la résilience, le kintsugi se décline en quatre variantes :
- kintsuki (la traditionnelle jointure à l’or);
- gintsuki (une technique similaire, mais avec de l’argent);
- urushi-tsugi (la jointure à l’aide d’une laque naturelle);
- yobi-tsugi (l’ajout d’un tesson issu d’une autre céramique pour combler une partie manquante).
Notez que le kintsugi est l’une des rares techniques de réparation ne présentant aucun risque pour l’usage alimentaire.
La céramique japonaise, un art ancestral
Aux racines de la poterie japonaise
La céramique japonaise est un savoir-faire très ancien. C’est en effet durant la période Jômon (15000 – 300 avant J.-C.) qu’apparaissent les premières poteries rudimentaires, parmi les toutes premières réalisées au monde. Petit à petit, les techniques de fabrication s’affinent, et les sources d’inspiration se multiplient. Motifs de flammes complexes à Nagano et Niigata, masques… C’est aussi à cette période qu’apparaissent les dogû, statuettes féminines stylisées, classées Trésors Nationaux au Japon.
Durant la période Yayoi (800 av. J.-C.- 200 ap. J.-C.), la céramique sert à la fois au quotidien et dans le cadre des cérémonies funéraires. À cette époque, au nord de l’île de Kyushu, on inhume en effet les défunts dans d’énormes jarres en terre cuite, appelées kamekan. On peut en voir notamment au parc Yoshinogari de Kanzaki, dans la préfecture de Saga.
L’époque de Kofun, qui succède à la période Yayoi (entre 250 et 538 après J.-C.), est celle des haniwa, ces sculptures funéraires stylisées. Cette époque marque un tournant décisif, avec l’apparition des premiers fours tunnels (anagama), permettant de cuire les poteries à une température supérieure à 900°C. Dès lors, les poteries japonaises gagnent en finesse et les techniques de fabrication ne cessent de se perfectionner.
L’art de la céramique au temps du Japon médiéval
À partir du 8e siècle, la production de poteries en grès se concentre dans le centre de l’île d’Honshu. La ville de Seto (préfecture d’Aichi) est alors si célèbre qu’on utilise désormais le terme setomono pour désigner la céramique japonaise dans son ensemble. Aujourd’hui encore, la céramique Seto-yaki est l’une des plus répandues au Japon.
L’influence chinoise imprègne la production médiévale, si bien qu’au 15ème siècle, un esprit de résistance commence à apparaître, matérialisé par l’émergence du wabi sabi. Ce style purement japonais, qui puise ses racines dans la cérémonie du thé, renverse totalement les codes de l’esthétique chinoise, lisse et ostentatoire. Il valorise la simplicité et les imperfections de chaque pièce. Cette philosophie imprègne non seulement la céramique, mais aussi tous les aspects de la cérémonie du thé, pratiquée dans une chaumière rudimentaire dont on savoure avec délice l’extrême dénuement. La technique du kintsugi évoquée plus haut est intimement liée à cette philosophie.
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L’art du thé au Japon
Avec le wabi sabi, c’est désormais le geste de l’artisan qui donne sa valeur à chaque poterie. Pour autant, les influences chinoises et coréennes ne sont pas abandonnées. Plusieurs styles de céramique japonaise émergent d’ailleurs à cette période : Mino-yaki à Gifu, Karatsu-yaki à Saga…
La poterie japonaise durant l’époque Edo (1600-1868)
Entre 1592 et 1598, les guerres menées en Corée par Toyotomi Hideyoshi ont pour conséquence l’arrivée à Kyushu et Hagi d’environ 800 artisans coréens, considérés comme les meilleurs dans l’art de la poterie. Ils introduisent au Japon le tour de potier, différentes techniques d’émaillage et de décoration, et surtout les fours à étage (noborigama), pour une cuisson plus précise et à plus haute température.
En 1616, l’un de ces coréens, Ri Sampei, découvre l’incroyable gisement de kaolin d’Arita, dans la préfecture de Saga. Dès lors, le Japon est en mesure de développer sa propre production de porcelaine, et peut donc s’affranchir de l’importation chinoise. Arita et Imari deviennent le cœur de la production de porcelaine japonaise, et le demeurent encore aujourd’hui.
Parallèlement à cette découverte, Hagi et Karatsu bénéficient du savoir-faire coréen pour développer leur art. Les céramiques de type Hagi et Karatsu-yaki s’imposent, avec le raku, comme les meilleures poteries pour la cérémonie du thé. À Kyoto apparaissent également les premiers émaux colorés, rapidement associés à l’usage de l’or et de l’argent. Les pièces créées sont donc de plus en plus fines et luxueuses.
La céramique japonaise contemporaine
Depuis l’époque Mieji (1868-1912), la production de céramique japonaise s’est largement démocratisée grâce à l’apparition de procédés de fabrication industriels. Le développement des transports a notamment permis une décentralisation des ateliers, au profit de grandes villes comme Tokyo ou Osaka. Mais la fabrication artisanale, plus rare, continue de se maintenir, et les noms d’Arita, Karatsu, Seto ou Hagi restent synonymes de qualité pour les connaisseurs du monde entier.
Depuis 1955, pas moins de 34 maîtres céramistes ont reçu le titre de Trésor National vivant, reconnaissance ultime du savoir-faire d’un artisan par le gouvernement japonais. Les nouvelles générations continuent d’expérimenter, repoussant sans cesse les limites de leur art.
La céramique japonaise est aussi devenue une source d’inspiration pour les céramistes du monde entier, qui s’en approprient l’esthétique, mais aussi la philosophie. En témoigne par exemple le travail de l’atelier Nagori Céramiques en France (Le Mans).
Les principaux styles de poteries japonaises (par région)
Chubu
La région du Chubu est célèbre pour ses porcelaines de Kutani, très populaires du côté de Kaga, où se situe aujourd’hui le Kutani-yaki Art Museum. Apparues durant l’époque Edo, ces céramiques se caractérisent par l’utilisation de cinq couleurs vives, les kutani gosai (jaune, vert, violet, rouge et bleu). Leur production, calquée sur le savoir-faire des potiers d’Arita, a bien failli disparaître à la fin du 17ème siècle, avant de renaître dans la seconde moitié du 19e siècle. Il existe donc aujourd’hui deux styles : le ko-kutani (ou « vieux kutani ») et le saiko-kutani (litt. « kutani ressuscité »).
Plus au sud, la préfecture d’Aichi a également développé ses propres styles, comme le Tokoname-yaki, et surtout le Seto-yaki. Cette dernière est la céramique la plus produite au Japon, à tel point que le terme setomono est aujourd’hui entré dans le langage courant, pour désigner la poterie japonaise au sens large.
Notez que plusieurs styles annexes se sont développés à partir du Seto-yaki, comme le Mino-yaki de Gifu.
Les styles Echizen-Yaki, Seto-yaki et Tokoname-yaki font partie de la liste des Rokkoyô (litt. « les six fours ancestraux »), classification regroupant les plus anciennes et prestigieuses céramiques du Japon. L’Echizen-yaki n’est cependant pas très connu du grand public.
Chubu : les 5 styles à retenir
- Tokoname-yaki (préfecture d’Aichi)
- Echizen-yaki (préfecture de Fukui)
- Kutani-yaki (préfecture d’Ishikawa)
- Mino-yaki (préfecture de Gifu)
- Seto-yaki (préfecture d’Aichi)
Chugoku
Moins répandue, la céramique du Chugoku, n’en est pas moins qualitative. Deux grands styles se détachent particulièrement: le Bizen-yaki et le Hagi-yaki. Apparue au 6ème siècle, la poterie Bizen-yaki est facilement identifiable à sa teinte brune rougeâtre, et à son absence de glaçage. Elle fait également partie de la liste des prestigieux Rokkoyô.
La céramique Hagi-yaki, quant à elle, est très réputée pour la fabrication de bols destinés à la cérémonie du thé. Un célèbre proverbe japonais dit d’ailleurs « ichiraku nihagi sangaratsu« , ce qui signifie littéralement « Un : Raku, deux : Hagi, trois : Karatsu ». Tel est le podium des meilleures poteries selon les adeptes du wabi-cha !
Chugoku : les 2 styles à retenir
- Bizen-yaki ou Inbe-yaki (préfecture d’Okayama)
- Hagi-yaki (préfecture de Yamaguchi)
Kansai
Dans le petit monde de la poterie japonaise, le Kansai est une autre région très importante. La préfecture de Kyoto a notamment développé deux styles : le Kyô-yaki et le Raku-yaki. Ce dernier est indissociable de la pratique de la cérémonie du thé. On le reconnaît à ses craquelures caractéristiques, qui sont le résultat d’un brutal changement de température (les pièces étant immergées dans l’eau froide immédiatement après l’enfumage).
Les céramiques Shigaraki-yaki et Tamba-yaki sont les deux derniers Rokkoyô. C’est avec la technique Shigaraki-yaki que sont notamment fabriqués les célèbres tanuki de la préfecture de Shiga. Enfin, le Yokkaichi-Banko-yaki, né à Mie au 19e siècle, est très connu au Japon pour ses services à thé ou à saké fleuris.
Kansai : les 5 styles à retenir
- Kyô-yaki (préfecture de Kyoto)
- Raku-yaki (préfecture de Kyoto)
- Shigaraki-yaki (préfecture de Shiga)
- Tamba-yaki ou Tatekui-yaki (préfecture de Hyogo)
- Yokkaichi-Banko-yaki (préfecture de Mie)
Kyushu
Incontestablement LA région à découvrir pour tout amateur de céramique japonaise, Kyushu se distingue comme lieu d’accueil privilégié de la vague de déportés Coréens issue des campagnes menées sur le continent par Toyotomi Hideyoshi. La région toute entière bénéficie donc de leur savoir-faire. C’est ainsi que se développent durant la période Edo les styles Hasami-yaki, Karatsu-yaki, Ryumonji-yaki et Satsuma-yaki.
La céramique Arita-yaki, réputée pour sa grande qualité, utilise la porcelaine issue des gisements de kaolin d’Arita, découverts durant la période Edo. À Imari, le village de potiers d’Okawachiyama est spécialisé dans la fabrication de fûrin, ces clochettes estivales qui tintent au gré du vent. Chaque été, un festival local leur est entièrement dédié.
Moins connu, le style Onta-yaki trouve ses origines dans la préfecture d’Oita, où l’on peut d’ailleurs visiter un autre village de potiers plein de charme.
Kyûshû : les 6 styles à retenir
- Arita-yaki ou Imari-yaki ou Nabeshima-yaki (préfecture de Saga)
- Hasami-yaki (préfecture de Nagasaki)
- Karatsu-yaki (préfecture de Saga)
- Onta-yaki (préfecture d’Oita)
- Ryumonji-yaki (préfecture de Kagoshima)
- Satsuma-yaki (préfecture de Kagoshima)
Shikoku
Si elle ne fait pas partie des destinations les plus riches en céramiques, l’île de Shikoku est connue pour ses porcelaines ornées de superbes décors bleu cobalt, de style Tobe-yaki.
Shikoku : le style à retenir
- Tobe-yaki (préfecture d’Ehime)
Tohoku
Le style Sôma-yaki de Namie, dans la préfecture de Fukushima, est le plus célèbre dans le Tohoku. Il désigne un type de porcelaine constellé de fissures bleues, à la manière du raku. L’un de ses motifs les plus répandus est le cheval.
Tohoku : le style à retenir
- Sôma-yaki (préfecture de Fukushima)
Récits de voyage
Mise à jour : août 2024