Mie

Ise-jingu, le grand sanctuaire d’Ise

Visiter Ise-jingu, le plus sacré des sanctuaires du Japon, est une expérience qui s’impose à tous les voyageurs de passage dans la péninsule d’Ise-Shima. Ce lieu, que beaucoup de japonais espèrent visiter au moins une fois dans leur vie, ne révèle cependant pas aisément ses secrets. Récit de ma découverte de ce sanctuaire mythique.

La spiritualité japonaise est fascinante, et peut-être n’appartient-il pas à un regard occidental d’en déchiffrer les mystères. Telle est la leçon que j’ai retenu de ma visite au Grand Sanctuaire d’Ise, un lieu aussi impressionnant que déroutant par son atmosphère. 

Si Ise-jingu possède une telle importance aux yeux des japonais, c’est parce qu’il abriterait l’une des plus importantes reliques de l’histoire du Japon, le miroir d’Amaterasu. Selon la légende, cet objet servit à attirer la déesse du soleil hors d’une caverne où elle s’était enfermée, plongeant le monde dans l’obscurité. Artefact mythique, le miroir d’Amaterasu fait partie du Trésor Impérial du Japon, au même titre que l’épée conservée au sanctuaire Atsuta-jingu de Nagoya.

Le Grand Sanctuaire d’Ise revêt donc une dimension particulière dans l’imaginaire nippon. Il y règne une ferveur peu commune, difficile à appréhender pour le voyageur non averti. Détaché des croyances qui lui sont associées, l’endroit peut en effet se révéler frustrant à explorer, obstinément enveloppé dans son aura de mystère…

De Geku à Naiku, visiter le grand sanctuaire d’Ise

Ise-jingu regroupe en réalité 125 sanctuaires, disséminés autour de Kotaijingu (Naiku) et Toyokedaijingu (Geku), deux grands complexes religieux. La tradition veut que les pèlerins prient d’abord à Geku, le « sanctuaire extérieur », puis à Naiku, le « sanctuaire intérieur ». 

Geku

C’est généralement en gare JR d’Ise-shi (ou en gare d’Ujiyamada si vous voyagez via la compagnie Kintetsu) que débute la découverte du Grand Sanctuaire d’Ise. De là, il suffit de marcher une dizaine de minutes le long de la rue commerçante Geku-sando pour rejoindre Geku, première escale de notre visite.

Une boutique à Geku-sando

Fondé au Ve siècle, Geku est un vaste sanctuaire dédié à la divinité Toyoke Omikami, gardienne de l’abondance et des moissons. Celle-ci accorde aux êtres humains trois bienfaits essentiels : vêtements, nourriture et abri. Les prêtres lui font principalement des offrandes de riz. Ce riz est ensuite porté à la déesse Amaterasu résidant à Naiku lors du Kannamesai, le plus important matsuri d’Ise-jingu. Celui-ci a lieu les 15 et 16 octobre.

On accède à Geku en traversant un large pont de bois, qui donne sur un vaste parc arboré percé de larges allées. Plusieurs torii de pierre se succèdent le long du parcours menant au Goshoden, le cœur du sanctuaire.

Masqué par de hautes palissade de bois, le Goshoden est un mystérieux édifice de style Shinmei-zukuri, sobrement habillé de bois clair et d’or. Ici demeure la déesse Toyoke Omikami, que l’on peut prier depuis un autel situé à distance. En effet, il est impossible au commun des mortels d’admirer le bâtiments principaux du Grand Sanctuaire d’Ise : seuls l’Empereur et quelques prêtres shinto peuvent s’en approcher. Les photographies sont également interdites à proximité du lieu de prière.

La tradition du Shikinen Sengu

À deux pas du bâtiment, un étrange terrain nu attire immanquablement l’attention. Il s’agit du site de construction du futur Goshoden, qui sera inauguré ici en 2033. En effet, tous les vingt ans, les principaux édifices d’Ise-jingu sont rebâtis à l’identique, en employant des techniques de construction traditionnelles. On appelle ce renouvellement le Shikinen Sengu. Le nouveau bâtiment achevé, la divinité y est transférée lors d’une cérémonie appelé Sengu-no-gi. L’ancien sanctuaire est ensuite démonté, et son bois envoyé vers d’autres sites shinto du pays pour y être recyclé. Cette coutume fascinante remonte à l’an 690 et n’a été dévoilée au regard des étrangers qu’en 1953. 

Au bord de l’étang de Magatama, Geku abrite un musée entièrement dédié à la tradition du Shikinen Sengu, le Sengukan.

La visite achevée, il ne faut que quelques mètres pour prendre le bus direction Naiku, en admirant au passage la plaque d’égoût Pokemon d’Ise située à deux pas de l’arrêt Geku-mae.

Naiku

Naiku, le « sanctuaire intérieur », est le plus ancien et le plus sacré des deux grands sanctuaires d’Ise. Il daterait du IIIe siècle. C’est ici, au sud de la ville, qu’est conservé le légendaire miroir d’Amaterasu. Pour se rendre sur place, il suffit de prendre le bus 51 ou 55 en gare d’Ise-shi ou à Geku. Le trajet dure une dizaine de minutes environ et s’achève à l’arrêt Naiku-mae.

On accède ensuite à Naiku en traversant le pont Ujibashi, qui surplombe la rivière Isuzugawa, véritable frontière entre le monde des Hommes et celui des Esprits. Deux grands torii se dressent de part et d’autre de ce lieu de passage incontournable. Déjà, la ferveur est presque palpable. Plus que dans n’importe qu’elle autre sanctuaire, je suis frappée de voir les japonais qui m’entourent s’incliner avant de traverser chaque portique croisant leur chemin.

Le splendide Kaguraden du Grand Sanctuaire d'Ise

Familles avec poussettes, couples et personnes âgées se pressent dans les vastes allées ombragées, convergeant tous dans la même direction. Sur le trajet menant au sanctuaire principal, non loin du guichet des goshuin pris d’assaut par la foule des pèlerins, un splendide édifice se démarque. Il s’agit du Kaguraden, palais destiné à accueillir les représentations de danse sacrée.

Au cœur du Grand Sanctuaire d’Ise

Plus loin encore, la nature semble se resserrer. Entouré de cryptomérias millénaires, voici qu’apparaît un petit escalier de pierre surmonté d’un torii. Celui-ci mène au goshoden, le sanctuaire principal d’Ise-jingu, demeure de la déesse Amaterasu. L’édifice, tout comme à Geku, n’est que partiellement visible, entouré de ses quatre enceintes de bois impénétrables. C’est au cœur de ce bâtiment que se trouve le miroir Yata-no-Kagami. Un autel, situé à bonne distance du Saint des saints, accueille les fidèles. Ceux-ci prient chacun leur tour, tapant des mains et déposant quelques pièces pour solliciter l’attention et la bienveillance de la déesse.

S’il est impossible de voir le Goshoden dans toute sa splendeur, l’enceinte de Naiku abrite de nombreux bâtiments plus petits, qui permettent de se faire une idée plus précise des caractéristiques de l’architecture Shinmei-zukuri. Typique des grands sanctuaires impériaux, ce style se caractérise par de larges charpentes en bois, des pignons saillants et une simplicité des lignes qui souligne la pureté des lieux. Les bâtiments ne comportent aucun clou, mais des chevilles en bois et des jointures qui s’emboîtent à la perfection. 

Mes impressions sur la visite du Grand Sanctuaire d’Ise

Si Ise-jingu est indéniablement l’un des sanctuaires les plus impressionnants du Japon, je garde de ma visite un sentiment un peu mitigé. Beaucoup de voyageurs avec qui j’ai échangé m’ont d’ailleurs confié qu’ils avaient été déçus par leur visite sur place, qu’ils trouvaient l’endroit froid, voire artificiel. Je suis d’accord avec eux, mais je crois qu’il existe une explication logique à ce sentiment : Ise-jingu n’est tout simplement pas un lieu destiné aux touristes, et encore moins aux étrangers

Lors de ma visite, j’ai parfois eu le sentiment de ne pas être à ma place, d’être presque une intruse. Je n’arrivais pas à voir en ce lieu ce qui émerveillait tant les japonais autour de moi. Et j’avais beau trouver l’endroit remarquablement aménagé et entretenu, impossible de ressentir ce « syndrome de Stendhal » qui m’étreint parfois au Japon, face à un monument ou un paysage qui me touche. 

Ce qui m’a frappé également, c’est cette aura de mystère soigneusement entretenue qui plane sur le Grand Sanctuaire d’Ise. Tout est fait pour suggérer la présence de divinités inaccessibles. L’interdiction de prendre des photos nourrit tout autant la curiosité que la présence de ces hautes palissades qui en dévoilent un peu, mais pas assez. Visiter Ise-jingu, c’est lever un coin du voile sur la spiritualité japonaise, sans vraiment pouvoir toucher du doigt les mystères qu’elle recèle. Et c’est frustrant.

Faut-il se rendre à Ise-jingu ?

La réponse est oui. Ise-jingu est un incontournable de la péninsule d’Ise-Shima et un lieu trop important pour être ignoré. 

Selon moi, s’y rendre en espérant voir quelque chose de grandiose est cependant la meilleure façon d’être déçu. En effet, l’endroit suggère davantage qu’il ne montre, et il ne faut pas s’attendre à y découvrir d’incroyables et somptueux édifices. 

Ise-jingu est un lieu fait pour parler à l’imagination et aux émotions du visiteur, plus qu’à son sens esthétique. Si vous gardez cela en tête, nul doute que vous savourerez davantage votre expérience de visite. 

Dernier conseil : si vous n’avez le temps de visiter qu’un seul lieu, je vous recommande évidemment de privilégier Naiku.

Le quartier d’Oharai-machi et Okage Yokocho

La visite de Naiku terminée, une dernière visite s’impose : celle du quartier commerçant Oharai-machi, situé à deux pas. La rue incontournable du quartier se nomme Okage Yokocho.

Sur les traces des pèlerins de la route Iseji à Okage Yokocho

Depuis des siècles, les boutiques à l’ancienne et les restaurants du quartier accueillent les pèlerins de la route Iseji. L’endroit est très animé. On peut y dénicher de jolis souvenirs de voyage.

La route Iseji

Inscrit en 2004 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, sous l’appellation « sites sacrés et chemins de pèlerinage dans les monts Kii », le pèlerinage de Kumano Kodo est l’un des plus importants du Japon. Ses sept grands itinéraires sillonnent toute la péninsule de Kii, dont ils relient les principaux sites religieux. 

Longue de 130 km, la route Iseji est l’une des plus prestigieuses routes de pèlerinage de Kumano Kodo. Elle relie le sanctuaire Ise-jingu à Hayatama-taisha et Kumano Hongu-taisha dans le département de Wakayama, en suivant le littoral sud de Mie à travers montagnes, plages et forêts.

Parmi les spécialités à ne pas manquer, l’akafuku mochi est une pâtisserie ancienne, à base d’anko (pâte de haricot rouge sucrée). Cette pâte forme trois lignes évoquant les eaux claires de la rivière Isuzugawa. On dit à Ise que l’akafuku mochi conserve depuis des siècles son goût d’origine, ce qui en fait un véritable patrimoine de la ville.

Les spécialités d’Ise

L’autre mets incontournable du quartier est l’Ise udon, un généreux bol de nouilles très épaisses à la texture mœlleuse. Son bouillon à la sauce soja tamari possède une forte saveur umami. On accompagne le tout d’oignons verts et, parfois, d’un jaune d’œuf cru entier. 

Quelques restaurants servent aussi du Tekone sushi, plat de pêcheur très apprécié dans la ville voisine de Toba.

Petit coup de cœur personnel : il existe dans le quartier une mignonne boutique de maneki neko que je vous recommande chaudement si vous avez un peu de temps pour flâner. Vous la reconnaîtrez facilement à ses deux énormes statues de chat, qui ne manqueront pas d’attirer votre attention.

Prolonger la visite d’Ise-jingu

Pour aller plus loin dans votre découverte du Grand Sanctuaire d’Ise, je vous recommande de prolonger votre visite du côté de Meoto Iwa, les rochers mariés, à Futaminoura. Si vous disposez d’une voiture, vous pouvez également envisager de vous rendre à l’est de la ville, non loin du mont Asama, pour explorer le temple Kongosho-ji. Ce dernier protège le nord-est d’Ise-jingu, direction considérée comme propice au malheur. Il est dit que tout pèlerin se doit de visiter le mont Asama pour achever pleinement son périple. 

Kongosho-ji est une étape sur la route panoramique Ise-Shima Skyline, qui relie Ise à Toba et offre de splendides points de vue sur la baie, l’océan Pacifique, et même les Alpes japonaises par temps clair. On peut y admirer le paysage en profitant d’un bain de pied au sommet du mont Asakuma-san, ou envoyer une carte postale depuis la « boîte aux lettres dans le ciel ».

Mise à jour : octobre 2023

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